Avions sans pilotes : bon pour le business, mais pour les passagers ?

Boeing testera dès l’année prochaine des vols sans pilotes, une technologie présentée comme plus sûre et qui pourrait faire économiser des dizaines de milliards de dollars aux compagnies aériennes selon une étude d’UBS. Restera à convaincre les passagers.

L’analyse des secteurs aéronautique, aérien et logistique par la banque suisse estime à 35 milliards d’euros le coût annuel des pilotes dans le monde ; la disparition des PNT pourrait donc entrainer des économies à grande échelle, et une amélioration des bénéfices des sociétés impliquées. Les avions sans pilotes sont « techniquement faisables », assure UBS, selon qui des aéronefs de transport de passagers ou de fret contrôlés à distance pourraient apparaître aux alentours de 2025 (Thales ne croit pas au vol entièrement autonome avant 2050). Et « d’autres progrès technologiques » pourraient conduire à un changement fondamental des compétences des pilotes, simplifiant la formation comme la charge de travail durant le vol. L’annonce la semaine dernière par Boeing de son entrée dans l’avionique « souligne l’appel de ces changements », explique UBS, qui égrène les stratégies qui pourraient mener à des « économies substantielles » : optimisation des missions, meilleure prévisibilité, réduction des coûts comme des équipages… Tout cela pourrait bénéficier aux compagnies aériennes, aux avionneurs et aux sous-traitants à l’échelle « considérable » suivante :

-plus de 26 milliards de dollars d’économie sur les pilotes « pour les compagnies considérées par l’étude », jusqu’à 3 milliards de dollars d’économies sur les pilotes pour l’aviation d’affaires, et 2 milliards pour les hélicoptères civils ;

-jusqu’à plus d’1 milliard de dollars d’économies via l’optimisation des vols, soit 1% de la facture annuelle en carburant des compagnies aériennes (133 milliards de dollars ; UBS met un conditionnel à ces économies)

-plus de 3 milliards de dollars d’économies via des primes d’assurances abaissées (via une plus grande sécurité des vols) et des formations réduites.

-des opportunités de revenus supplémentaires grâce à une utilisation plus intensive des avions, que ce soit pour le transport de passagers ou de fret.

L’impact sur l’aérospatiale et les transports (compagnies aériennes commerciales, logistique) sera en premier lieu bénéficiaire aux équipementiers de l’avionique et des communications tels que Thales, Rockwell Collins et Honeywell, estime UBS. « Avec des percées technologiques accrues et des coûts plus faibles », Airbus et Boeing pourraient augmenter l’attrait de leurs futurs programmes d’aéronefs. Et la banque avance des chiffres pour les compagnies aériennes qui « conserveraient tous les avantages des pilotes sans avions » : les bénéfices opérationnels pourraient selon elle avantager Air France-KLM (+50%), la low cost easyJet (+60%), China Eastern Airlines (+80%), Thai Airways (+90%), United Airlines (+100%) voire American Airlines (+200%). Les compagnies cargo telles que FedEx et UPS pourraient y gagner jusqu’à 1 milliard de dollars.

UBS se dit bien consciente des « vents contraires » qui vont se dresser sur la route des avions sans pilotes : c’est le cadre réglementaire qui définira « les vagues d’avancées technologiques » à venir, le fret « devant probablement être à l’avant-garde ». La perception des consommateurs pourrait également être un problème : la banque cite son étude UBS Evidence Lab, selon laquelle 54% des 8000 personnes interrogées jugent « peu  probable » leur désir de voler sur un avion sans pilotes, quand seulement 17% se déclarent tout à fait prêts à la faire. Parmi ces derniers, les jeunes (18 à 34 ans) sont sans surprise les plus nombreux, à 30%, cette acceptation devant selon la banque « augmenter dans le temps ».

Autre problème dévoilé par UBS, les avions sans pilotes n’auraient qu’un impact minime sur le prix du billet d’avion : environ 4% de baisse en Europe et 11% de baisse aux Etats-Unis. Un argument qui ne change de toute façon pas le sentiment des passagers : ils sont « étonnamment » la moitié à dire qu’ils n’achèteront pas un billet pour un vol en avion autonome « même s’il est moins cher ».

La sécurité reste aussi un problème aux yeux de ces futurs voyageurs, même si UBS estime à entre 70% et 80% des accidents d’avions la part causée par des erreurs humaines, « dont 15% dus à la fatigue de l’équipage ». Les ordinateurs peuvent tomber en panne, et l’histoire récente montre que ce sont des pilotes qui ont permis à un A320 de se poser sur la rivière Hudson ou à un A380 de revenir à Singapour après l’explosion d’un de ses moteurs – le tout sans faire de victime. Mais l’étude souligne que le rôle des pilotes est de toute façon en train de changer graduellement, du pilotage « vers l’optimisation de la mission et de la trajectoire : surveillance, gestion et programmation des systèmes embarqués toujours plus complexes, tels que le vol en quatre dimensions ou le suivi avancé de la météo ». A moyen-terme, le développement de l’automatisation des tâches aura selon UBS deux implications : l’intégration poussée des constructeurs et des fournisseurs d’avionique, et la réduction de la charge de travail pour les pilotes qui pourraient (dans l’aviation commerciale) n’être plus qu’un au lieu de deux dans le cockpit, « comme dans les années 80 quand le technicien avait disparu des DC9, MD11 ou 747 ». Selon UBS, Embraer avait déjà déclaré en 2010 que l’introduction de nouveaux systèmes du contrôle aérien en Europe (SESAR) ou aux USA (NextGen) permettrait d’envisager de avions à un pilote « dès le début des années 2020 ». Plus récemment, Airbus a dévoilé ses projets de « mobilité urbaine » CityAirbus et Skyways, allant même jusqu’à dévoiler son  projet d’avion sans pilote Sagitta.

Les tenants des transports sans pilotes citeront de leur côté le développement des métros et trains automatiques, déjà en place, et l’arrivée des voitures et navettes autonomes comme autant de raisons pour que l’aviation suive le mouvement – sans oublier la longue expérience des drones militaires, manœuvrés par des pilotes au sol… (Air Journal, photo : KLM)