L’OACI lors de sa 39ème Assemblée Générale l’année dernière a affirmé à nouveau son soutien à toutes les initiatives prises pour la libéralisation du transport aérien dans le monde. Ce concept, supposé être source de tous les bienfaits pour les pays qui le mettent en œuvre, revient comme un leitmotiv dans toutes les conférences qui concernent le transport aérien, en Afrique notamment.
On parle de libéralisation… La libéralisation ne se décrète pas … elle n’est pas non plus une fin en soi. Elle doit contribuer au mieux-être des peuples et des pays. Pourtant, on s’aperçoit que ceux-là même qui l’ont initiée reviennent maintenant sur certains de ses aspects.
Cependant, il est généralement admis que le transport aérien, considéré comme un des vecteurs du développement économique, peut davantage jouer son rôle si on le débarrasse du carcan étatique afin de laisser jouer les règles d’un marché libéralisé.
En 1999, la Décision de Yamoussoukro (DY) a été adoptée par les Ministres en charge du transport aérien pour libéraliser l’exploitation des droits de trafic en Afrique au bénéfice des compagnies éligibles (celles ayant, notamment, entre autres critères, l’AOC d’un état africain, base de leur exploitation). Elle a ensuite été entérinée par la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernements de l’Union Africaine à Lomé en 2000. Exécutoire immédiatement, avec acceptation d’une période transitoire de deux ans, elle prenait alors le pas sur les différents accords aériens bilatéraux signés auparavant entre les états signataires.
La question de la libéralisation était-elle donc réglée ? Bien au contraire ! Alors que sa lettre le prévoyait, la Décision n’a pas été complétée et ce, jusqu’à un passé très récent, par les Annexes qui auraient garanti une juste concurrence entre les compagnies aériennes. La création de l’Agence d’Exécution, l’adoption de règles de concurrence communes, d’un mécanisme de règlement des différends et la création d’un tribunal d’arbitrage étaient les chaînons manquants permettant une libéralisation sereine. Leur absence a longtemps servi d’argument pour freiner sa mise en œuvre.
On ne peut, cependant, affirmer qu’il n’y a pas eu de libéralisation pendant ce temps ; j’en veux pour preuve la présence des compagnies majors africaines hors de leurs marchés « naturels » grâce aux droits de 5ème Liberté qui leur ont bien été octroyés. Mais ces majors ont besoin de d’avantage d’expansion, d’affirmer leurs positions, d’alimenter leur hub, en vue de faire face aux compagnies du Golfe et autres étrangères. Pour elles, la libéralisation ne va pas assez vite.
Aussi, en 2015, dans le cadre de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine pour une plus forte intégration du continent, les Chefs d’Etats adoptent l’objectif de création d’un Marché Unique du Transport Aérien Africain (MUTAA ou SAATM en anglais) pour 2017. Cette décision s’est fondée sur une étude chiffrée commandée par IATA, sur les avantages économiques de la libéralisation des services aériens entre 12 pays du continent, en termes de création d’emplois et d’augmentation du PIB. Les 11 pays précurseurs du marché unique (dont 4 seulement font partie des pays concernés par l’étude citée précédemment) ont été rejoints, depuis, par 7 autres. La Conférence des Chefs d’Etats de Kigali en 2016 a mis l’accent sur la libre circulation des personnes et des biens au sein du Continent. Celle-ci est un préalable à la création d’un marché unique, même s’il n’en est pas le seul.
L’interrogation que l’on peut avoir, est la pertinence de la démarche adoptée. Quels peuvent être les effets immédiats et bénéfiques de ces engagements signés par les plus hautes instances, alors que l’on considère que la Décision de Yamoussoukro n’est pas encore entièrement mise en œuvre bien qu’elle ait été signée par ces mêmes Autorités ? Les « réalités du terrain » faites de difficultés multiples freinent ces volontés exprimées. Il a été relevé dans un document de travail présenté à la 13ème Réunion du Comité du Transport Aérien de la CAFAC au Zimbabwe, que « la mise en œuvre de la Décision de Yamoussoukro est assurée dans une certaine mesure au niveau des Communautés Economiques Régionales (CER) plutôt qu’à l‘échelle continentale. Cette situation empêche le continent de tirer pleinement parti des bienfaits de la mise en œuvre de cette dernière… ». Aussi retrouve-t-on des pays « disparates » dans les précurseurs du MUTAA, mais tous ou presque, pourvus d’une compagnie aérienne qui compte dans le paysage aérien africain.
Créer un marché Unique du transport aérien suppose que pour exploiter les services aériens libéralisés, les opérateurs soient soumis aux mêmes règles de marché, aux mêmes normes de sécurité et soient supervisés par les mêmes entités. Ici, c’est loin d’être le cas.
On ne peut donc que s’interroger sur le fait que la démarche ne s’appuie pas sur les CER pour lesquelles l’expression de « communauté d’intérêts » est une réalité. Quels meilleurs résultats espère-t-on à contourner ces CER ? Quels points peuvent avoir de plus en commun le Cap Vert et l’Egypte, que le Cap Vert et le Sénégal ?
Or, il est de fait que dans son fonctionnement, l’Union Africaine a toujours adossé son action sur ses 8 piliers que sont les Communautés Economiques Régionales. Cette démarche régionale a permis des avancées importantes, notamment dans le secteur du transport aérien : Certaines Communautés comme la CEDEAO, par exemple, disposent déjà d’un passeport unique pour leurs ressortissants. Ses parlements ont adopté des Directives et Règlements commun en matière de transport aérien. Certaines ont aussi initié des négociations de « bloc-à-bloc » au nom de leurs états membres. Les espaces sont déjà fortement intégrés et leurs opérateurs sont soumis aux mêmes règles, ce qui est déjà un grand pas vers la construction du marché unique du transport aérien.
Et pourtant, l’on apprend au cours de certaines conférences que les freins existent toujours au développement du Transport Aérien : « insuffisance de connectivité entre les Capitales des Etats Membres » constate-t-on. Le problème est-il ailleurs ? Est-ce que la Libéralisation finalement ne servira pas tout simplement à faciliter la concentration du secteur sur le Continent, comme sous d’autres cieux, afin que les acteurs africains aient les moyens d’entrer en concurrence contre les majors étrangers ? (ECTAR)